La dame de Santorin

Une “rencontre forte” à l’étranger renvoie le plus souvent à un pays lointain, une culture aux antipodes, une personne très atypique. Pourtant, les rencontres marquantes se produisent parfois beaucoup plus près, avec des gens “presque ordinaires”. Ce fut le cas pour l’équipe partie en voyage dans les Cyclades, qui en chemin a rencontré Eva. Quelques jours après leur retour, plusieurs d’entre eux évoquent le “sourire sincère”, la “générosité”, la “personnalité forte et dévouée de cette matriarche au grand cœur”. Et les gorges qui se sont un peu nouées en la quittant…
Cuisine et cueillette
C’est dans la pension qu’elle tient à Akrotiri qu’elle a accueilli l’équipe Allibert. Village tranquille de Santorin, il est situé à une vingtaine de kilomètres d’Oia (à l’autre bout de l’île, soit assez pour que le changement d’ambiance soit radical…). C’est ici qu’Eva a créé la pension Carlos : “Très vite, nous nous y sommes sentis comme à la maison. C’est un lieu convivial, authentique et familial.” On comprend rapidement que pour que tout le monde se sente comme chez soi, Eva ne ménage pas ses efforts, se lève tôt, se couche tard, et ne compte pas les heures passées
en cuisine pour concocter “des plats délicieux, en quantité pantagruélique”. Mais pas seulement…
Santorin est une île aride. Depuis des centaines d’années, tout ce qui pousse est cultivé, et tout ce que la nature offre est cueilli — jusqu’aux feuilles si elles sont comestibles ! C’est le cas notamment des feuilles de câprier, qui nécessitent beaucoup plus de travail que les fruits pour être préparées et conservées. La quasi-totalité de ce qui est servi passe ainsi plusieurs fois entre les mains d’Eva, même si la carte ne mentionne pas “fait maison”, “cultivé au jardin” ou “cueilli par moi-même”...
Un monde à bout de bras
Comment fait-elle alors ? Comment fait-elle pour garder en permanence un œil sur ses hôtes, veiller à ce qu’ils ne manquent de rien et multiplier les petites attentions ? “Un jour, parce qu’elle avait appris par hasard qu’Hervé adorait le poisson, elle en a préparé spécialement pour lui, en plus du repas pour tous les autres…”
Evidemment, Eva ne se livre pas beaucoup. Ses quelques mots de français ne le lui permettent pas, et son tempérament ne l’y invite pas… Mais l’une des réponses se trouve peut-être dans un album que l’on peut consulter dans le salon.
L’histoire familiale se laisse deviner à travers les clichés de la pension, sur lesquels on voit grandir trois enfants. Tous adultes désormais, ils sont restés très impliqués aux côtés de leur mère. Ce qui apparaît surtout, en creux et au fil des pages, c’est un visage absent après la construction de la bâtisse. De lui, on apprendra seulement qu’il était uruguayen. Et que la pension porte son nom. Plus qu’un album, ce qui se feuillette dans ce salon est un recueil, témoin de tout un monde, celui d’Eva, porté seule et probablement à bout de bras depuis une vingtaine d’années.
Alors évidemment, au moment du départ…
C’est peut-être là qu’il faut chercher la clé de ce sourire immuable, de ce regard qui porte et caresse les cœurs, et de ce qui n’est plus une silhouette, mais bien une stature. De celles dont on ne sait plus très bien d’ailleurs si elles sont à rapprocher d’un hercule ou d’une madone. C’est tout cela, et tout à la fois, que quelques-uns ont perçu derrière ce “tempérament discret”.
Alors évidemment, au moment du départ, elle a adressé à tous son éternel sourire. Cédant même à l’élan, plus inattendu, d’une embrassade. A défaut de quelques mots adressés en langue
maternelle, il reste parfois un geste maternel, pour murmurer la même chose.
Quelques minutes auparavant — évidemment ?—, elle avait aussi pris soin d’emplir les mains et les sacs de quelques pots de verre. “Aujourd’hui, à la maison, on se délecte encore de sa saumure de feuilles de câprier, de son miel de safran et de ses confitures. A chaque dégustation, son visage, sa force et son histoire sont présents. Et dans quelques années, l’un des seuls souvenirs qu’il restera de Santorin sera sûrement cette personne si attachante…”
NB : Ce texte a été réalisé suite à un voyage de formation des conseillers en voyage.