Carnet de route : Picos de Europa

Notre brave “cabane à roulettes” longe depuis deux semaines déjà les côtes du septentrion espagnol. Nous avons exploré la côte escarpée de Biscaye, au Pays basque, puis découvert la baie de Santander, synonyme pour nous de deux haltes mémorables : le site paléolithique de la grotte ornée d’Altamira d’abord, à Santillana del Mar (une pure merveille), et la soudure, par un ferrailleur, de notre porte-vélos qui commençait à donner de la gîte, suite à un dos d’âne négocié à 50 kilomètres/heure !
Pico de europa - Franck Charton

Remis de nos émotions, nous obliquons plein sud via le formidable défilé de la Hermida, pour aborder les montagnes pour nous mystérieuses des picos de Europa, premier parc national d’Espagne (créé en 1918) et excroissance atlantique de l’immense chaîne cantabrique espagnole, avec des hauts sommets jouxtant l’Océan. Un bastion calcaire qui se décline par trois. Trois entités : l’Andara orientale, les Urrieles centraux (le massif le plus haute avec 2646 mètres au Torrecerredo) et le Cornión occidental. Trois provinces : Cantabrie à l’est, Léon au sud, Asturies au nord. Trois climats aussi : atlantique au nord, montagnard au centre, continental au sud. Des montagnes enfin particulièrement arrosées (normal, à 20 kilomètres à peine de la mer !), et réputées pour l’inconstance de leur climat. Pour nous, ce sera donc une incursion en forme de triptyque, avec un aperçu de trois facettes de cette herse méconnue.

Cantabrie, d’abord.

Au départ de Potes, charmante ville médiévale située à la confluence de deux cours d’eau, notre camion grimpe jusqu’à Fuente Dé, spectaculaire amphithéâtre rocheux. Depuis le bout de la route, le téléphérique nous propulse en trois minutes chrono au vertigineux Mirador del Cable, à 1850 mètres d’altitude. Là-haut, miracle, nous crevons la mer de nuages et découvrons les premiers élancements de la chaîne : Peña Vieja, Horcados Rojos, Tesorero… Nous grimpons un éperon latéral dévoilant des vallons secrets tapissés de névés. Journée en apesanteur, avec une bande de chamois en maraude pour seuls compagnons. Avant de repartir, brève visite au monastère Santo Toribio de Liébana, au-dessus de Potes, un couvent franciscain vénéré dans toute la région : il abrite le Lignum Crucis, qui est, selon les catholiques, le fragment le plus grand de la “vraie croix” sur laquelle Jésus-Christ fut crucifié. Crypte sombre, relique enchâssée dans un dôme d’or, pèlerins agenouillés... Insolite !

Castille-et-Léon ensuite…

… de l’autre côté du Puerto (col) de San Glorio, où, chance inouïe, nous surprenons deux loups cantabriques en plein jour, à moins de 50 mètres, en train de s’abreuver à un bachal. Nous dégringolons ensuite sur les fascinantes circonvolutions du lac de Riaño et son village éponyme, transplanté avec sept autres hameaux lors de la création forcée du barrage en 1987, après vingt ans de résistance farouche des habitants. Comment se douter que sous ce cadre idyllique, se cache un drame humain ? Malgré les vies brisées et les promesses non tenues d’un ouvrage inutile et surdimensionné, reste aujourd’hui un immense miroir cobalt sur fond de magnifiques paysages noyés, des greniers-reliques sur pilotis et de jolies balades à vélo dans les environs…

Asturies enfin.

Les gorges étroites de Beyos nous donnent des sueurs froides, car on s’y croise de justesse, et les corniches rocheuses frôlent de très près notre mastodonte ! Laissant derrière nous Cangas de Onís et son pont romain, nous faisons étape à Covadonga, sanctuaire chargé de spiritualité (grotte sacrée, chapelle troglodytique, basilique perchée), et surtout d’histoire, puisque c’est ici que Pelayo, à la tête des résistants chrétiens réfugiés dans la cordillère cantabrique, entama la Reconquista au VIIIe siècle grâce à sa victoire contre le califat omeyyade qui menaçait d’occuper toute la péninsule Ibérique. Au terme d’une petite route qui se tortille dans la montagne, notre camion se hisse jusqu’à l’intrigante mine de Buferrera, ou furent longtemps exploités fer et manganèse. Dans un décor digne des tsingy malgaches, subsistent encore tunnels, rails et wagonnets, comme abandonnés du jour au lendemain. C’est ici que nous partons pour une grande randonnée dans des paysages bucoliques, entre les lacs glaciaires Enol et Ercina, tout en reliant les belvédères de la Reine, de la Princesse et du Roi. Hors saison, nous sommes quasiment seuls au milieu des troupeaux de moutons et des petites bergeries de pierre, sous les orbes de myriades de vautours fauves. Et il fait presque grand beau ! Magie asturienne…

Texte et photos : Franck Charton.