Dimanche, c’est jour de charter en Mauritanie 1/4

Journaliste indépendant, Jérémie Vaudaux a passé un mois en Mauritanie en compagnie de notre équipe locale, entre trekking avec des voyageurs Allibert et déambulations à la rencontre des habitants. Voici son récit sur les effets bénéfiques du tourisme dans le désert de l’Adrar, où “chaque voyageur peut devenir acteur d’un tourisme plus équitable. L’acte d’achat d’un circuit déclenche une mécanique économique dont les retombées positives arrosent des centaines de travailleurs mauritaniens. Et dynamisent l’un des plus beaux déserts de la planète.”
Guide Mauritanie

“L’Adrar, terre des Maures et des Français"

A Atar, la capitale régionale, le temps s’écoule selon un calendrier qui lui est propre. Tous les jours, c’est jour de marché. Vendredi, c’est jour de prière. Dimanche, c’est jour de charter. Le jour où les toubabs — les Blancs — débarquent en Mauritanie. Et avec eux, la promesse d’une vie et d’une économie qui redémarrent dans la wilaya (“subdivision”) de l’Adrar.

Depuis le début de la saison touristique 2018, chaque charter draine près de 100 voyageurs venus avec des tour-opérateurs — le tourisme individuel est presque inexistant en Adrar. “Les cinq premiers vols ont amené 98, 98, 99, 100 et 91 touristes”, précise Mohammed Mahmoud, agent de l’Office national du tourisme (ONT). Chaque dimanche depuis 2005, à son guichet situé dans le hall d’arrivée de l’aéroport, il compte. Nombre, provenance et nationalité des voyageurs.

Grosse domination française, ce soir. Ceux qui attendent le contrôle médical d’entrée, ceux qui remplissent la fiche d’information qui finira dans les mains de Mohammed, ceux qui fument leur clope en attendant leur visa : tous français. Tous sont venus se frotter aux dunes de la Mauritanie. Pour cette saison, l’ONT prévoit 4500 voyageurs, dont une majorité écrasante de Français. L’année dernière, sur les 1580 touristes du charter affrété par Point Afrique, 1450 étaient… français !

On reste toutefois loin des années d’or du tourisme dans le désert mauritanien. Saisons 2003 à 2007, des années bénies. Tout le monde s’en souvient, ici. Chaque semaine, 440 voyageurs volant sous le pavillon de Point Afrique débarquaient à Atar. Soit, sur la seule saison 2006-2007, 11000 étrangers venus alimenter l’économie de la région. S’y ajoutaient les voyageurs arrivés par voie terrestre, absents des statistiques officielles.

“Atar est une ville fantôme, lorsqu’il n’y a pas de touristes”

Avec l’arrivée du premier charter, en 1996, la wilaya a changé de visage, pris des airs de modernité et s’est habituée aux ouguiyas (la devise mauritanienne) du tourisme. Petit à petit, au début des années 2000, l’économie de la wilaya a muté. Hors du tourisme, point de salut. Les sécheresses des années 1973-1974 avaient sérieusement entamé l’économie traditionnelle de l’Adrar, basée sur l’agriculture vivrière et l’élevage pastoral. Le tourisme s’est chargé d’achever le travail.

Atar est une ville fantôme, lorsqu’il n’y a pas de touristes. Après les événements d’Aleg, toute la wilaya a fonctionné au ralenti, l’économie s’est arrêtée. Le début des années noires…”, se souvient Mohammed. Après l’or, l’obscurité. Le 24 décembre 2007, des individus se disant affiliés à Al-Qaïda enlèvent et assassinent quatre touristes français à Aleg, à 400 kilomètres au sud d’Atar. Les conséquences ne se font pas attendre : l’Adrar classée zone rouge par le Quai d’Orsay, le retrait des tour-opérateurs français en Mauritanie, l’arrêt des charters. La région se vide. Moins 7000 habitants entre 2000 et 2013, selon l’Office national des statistiques.

Les retombées économiques du tourisme dans la wilaya permettent de fixer les populations locales. L’Adrar dépend en grande partie du tourisme”, assène Sidi Ahmed Nemoud. Ce guide travaille dans le tourisme depuis 1999. Ce soir, il attend deux toubabs, dans le hall de l’aéroport d’Atar. Signe pour lui d’une activité qui repart, après que “l’arrêt du tourisme est venu perturber le dynamisme de l’Adrar”, regrette-t-il.

Ceux qui ne sont pas partis ont dû s’adapter pour survivre. Pendant la décennie noire, Sidi Ahmed s’est débrouillé comme il a pu. Une activité d’aubergiste, un commerce de dattes, des petits boulots, de grandes périodes de chômage. Son cas n’est pas isolé. La fin des charters a causé des traumatismes dans les équipes touristiques. Beaucoup sont partis. Certains sur les bateaux de pêche de Nouadhibou ou Nouakchott, d’autres sont retournés dans leurs familles, d’autres encore dans les mines de fer de Zouérate.

“Depuis la reprise du tourisme, l’Adrar revit”

L’année dernière sonnait la fin du calvaire. La décision du Quai d’Orsay actait la reprise du tourisme : “Depuis la réouverture de la Mauritanie, l’Adrar vit de nouveau. Les marchés se développent, l’artisanat aussi. Après dix ans sans tourisme, on sent une différence de taille. Même dans les mentalités. Tout ça, c’est positif”, assure Sidi Ahmed. Il a le sourire. Sur le parking de l’aéroport d’Atar, c’est l’effervescence. Chauffeurs, cuisiniers et guides s’avalent un dernier thé en achevant le chargement des 4x4. L’avion a atterri. La nuit est tombée.

Les premiers touristes franchissent la porte de sortie pour rejoindre leur équipe mauritanienne, pourtant incomplète. Manquent chameaux et chameliers, qui patientent à Chinguetti. Petite ville, mais grande histoire. Chinguetti, célèbre pour ses bibliothèques aux manuscrits plusieurs fois centenaires. Et point de départ obligé de la plupart des randonnées dans l’océan de dunes de l’erg Ouarane. C’est d’ailleurs là que nous nous rendons…

Photos par Jérémie Vaudaux.

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