Dimanche, c’est jour de charter en Mauritanie 2/4

La suite du reportage en Mauritanie de Jérémie Vaudaux, journaliste indépendant, se déroule à Chinguetti. “Petite ville, mais grande histoire. Chinguetti, célèbre pour ses bibliothèques aux manuscrits plusieurs fois centenaires. Et point de départ obligé de la plupart des randonnées dans l’océan de dunes de l’erg Ouarane.”
Mauritanie

“Le tourisme peut être une chaîne vertueuse où chacun a sa place"

Il est près de 22 heures. Le silence, le sable. Les panneaux d’auberges défilent. Auberge Nouatil, L’Eden, du Maure bleu, Lagueïla… Une trentaine d’enseignes se tirent la bourre, et c’est à N’del Khairy, gérant de l’auberge des Caravanes, que je tends mon micro. L’homme a un boubou blanc, le corps sec et le visage détendu.

Sous le mahmel, ronde construction en branches de palmier, il se laisse aller au récit de ses déboires des dix dernières années. Thé à la menthe et chant des grillons en guise d’ambiance. “J’avais contracté un prêt, avant l’annulation des vols charters.

Résultat : une dette à rembourser, et plus d’emploi, énumère-t-il, calmement. Pourtant, des emplois, N’del en avait deux. Aubergiste et prestataire de chameaux. Perdus tous les deux. Doublement sur la paille.

N’del a dû vendre une quarantaine de ses bêtes, son parc automobile, des auberges à Nouakchott et Tijikja. “Mais je ne suis pas un cas isolé. Dans le tourisme, quand une personne souffre, c’est tout un écosystème qui est impacté. L’inverse est aussi vrai. Le tourisme en Adrar peut aussi être une chaîne vertueuse, où chacun a sa place et profite des retombées économique”, analyse-t-il.

“Une meilleure répartition des retombées touristiques”

Une chaîne dont N’del est l’un des maillons. Les agences réceptives telles que Mauritanie Trekking font appel à lui pour qu’il embauche chameliers et montures à une bosse. Et lui fait appel aux chameliers. “Cette saison, j’emploierai 70 chameliers, en roulement, annonce-t-il. C’est beaucoup. Ils sont payés entre 5 et 9 € par jour selon les prestataires, et autant par dromadaire employé.

Plutôt que de faire travailler une poignée de chameliers, N’del a choisi de mieux répartir les embauches. “Je préfère employer davantage de chameliers, quitte à ce qu’ils aient moins de travail, explique N’Del.

C’est ce que chacun de nous cherche ici, en Adrar : une meilleure répartition des retombées positives et économiques du tourisme dans la région, promet-il en guise de conclusion. Le troisième thé est avalé depuis longtemps. Chinguetti dort déjà.

Le lendemain matin, nous prenons la route en terre battue qui relie la nouvelle ville à l’ancienne. A mi-parcours, au détour d’une ruelle, une coopérative artisanale féminine a pignon sur rue. Ça sent la colle, le cuir tanné et les pigments portés à ébullition. Dans sa melhafa rose, une femme peint, assise sur le sol. C’est une forgeronne, une maalemine en hassayna. Une caste, en Mauritanie, où les femmes travaillent le cuir, les hommes le fer.

 

“Les boutiques me passent deux fois plus de commandes”

Lalla Djoubella ne lève pas les yeux de son ouvrage, une sorte de petit tambour en peau de chèvre. Elle peint. Des boîtes en plastique recouvertes de cuir teint, des tabatières du même style dorment à ses pieds. Elles prendront vie sur les étals des boutiques de la vieille ville, et reposeront peut-être sur l’étagère de touristes traversant Chinguetti.

“Je n’ai aucun contact direct avec les touristes. Par contre, lorsque la saison débute j’en ressens les conséquences : les boutiques de la vieille ville me passent deux fois plus de commandes”, assure Lalla. La forgeronne, comme une dizaine de ses consœurs à Chinguetti, est l’une des bénéficiaires indirectes du tourisme. Elles en récoltent les fruits, même si elles sont plus loin de l’arbre que les chameliers, par exemple.

Par ailleurs, elles ne dépendent pas seulement des voyageurs, car elles vendent aussi des selles, sacs de cuir et outres à sucre aux nomades et aux chameliers. Les vendeuses, en revanche, ne dépendent que du coup de cœur d’un touriste pour un chèche ou quelque objet d’artisanat. Dans les rues autour de la mosquée, elles sont alignées devant leurs boutiques aux noms fantaisistes : Moins chaires que gratuites, Coopérative artisanale Aïcha, La Fnaque.

Ces vendeuses constituent le dernier maillon de la chaîne artisanale. Elles sont aussi les dernières personnes rencontrées avant d’embarquer avec la caravane pour l’océan de dunes qui lèche la ville. Les dernières personnes, ou presque. Le désert est habité, et comporte son lot de surprises et de rencontres inattendues.

Photos par Jérémie Vaudaux.

 

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