Carnet de route : de la Sicile aux volcaniques Eoliennes

Obsidienne et pierre ponce de Lipari
Notre étrange vaisseau, mi-aquatique, mi-volant, s’élance d’abord sur les flots, puis semble décoller pour planer sans effort au-dessus de l’écume bouillonnante. C’est un alyscaphe, une espèce d’hydroglisseur monté sur deux patins rétractables et propulsé sur coussins d’air, qui assure des liaisons ultra-rapides et métronomiques entre la Sicile et les cinq principaux confettis de l’archipel du dieu Eole. Nous nous “envolons” donc vers Lipari, la principale île des Eoliennes, où nous débarquons une grosse heure plus tard. Un microcosme charmant où tout le monde se connaît, où on mange du poisson en terrasse, où on évoque encore les mines d’antan.
Nous prenons pension chez Enzo el Negro, marin pêcheur de son état, et sa femme, sympathique matrone sicilienne, au dernier étage d’une maison ancienne sise entre l’imposante citadelle coiffant le bastion rocheux de l’acropole et le petit port de pêche de Marina Corta. Dès le lendemain, une grande virée à scooter nous permet de faire le tour de l’île, via les friches industrielles de la grande époque de la pierre ponce, intensément blanche, et les carrières d’obsidienne, incroyablement ébène, les petites chapelles perdues, les antiques thermes romaines San Calogero et les promontoires grandioses.
Fumerolles dansantes du Vulcano
Nouvel appareillage, et cap sur Vulcano, la belle voisine, rejointe en dix minutes montre en main ! Depuis la marina, un petit chemin serpente au milieu des genêts, puis rejoint une traversée en diagonale coupant dans le tuf volcanique, pour gagner le bord du cratère. Accueil insolite, par une bordée de fumerolles dansant la sarabande au gré des vents. Par une large manœuvre de contournement ascendante, nous suivons le bord du cône, au fur et à mesure que le panorama, de superbe, ne devienne superlatif. En ribambelle, voici donc Lipari en face, puis Alicudi, Filicudi et Salina à sa gauche, Panarea à sa droite et enfin, encore plus à l’est, la pyramide solitaire du Stromboli.
Du sommet pelé, dégringolade dans les éboulis vers la ligne de failles éructant leurs miasmes soufrés. C’est le passage le plus mémorable du jour : une traversée fantasmagorique entre les évents de vapeur fétide, avec un foulard autour du visage pour ne pas se laisser totalement asphyxier ; un sprint courbé en deux, hoquetant, mais les yeux grands ouverts pour ne rien perdre du spectacle ! Ne reste plus qu’à se laisser glisser jusqu’aux piscines de boue sulfureuse de Pozza dei Fanghi, pour se délasser les muscles, avant le dernier bateau pour Lipari.
Feu d’artifice du Stromboli
Ultime traversée, cette fois sur un vieux rafiot qui fait escale à Panarea, jusqu’à la fascinante Stromboli. La belle hiératique se dresse sur des eaux noires à force d’être bleues, avec son perpétuel panache de fumées blanches en guise de signature. Nous voici à peine arrivés à notre nouveau camp de base, le refuge du guide local Antonio, que ce dernier nous demande de nous préparer en vitesse : l’ascension du jour est imminente. Nous rejoignons une quinzaine d’autres candidats au grand frisson, venus de trois continents, et démarrons illico, à la suite de notre guide, par un aimable sentier traversant un maquis bocager, puis assez vite un petit bois de bruyères arborescentes. Viennent enfin des champs de scories, à perte de vue, alors que les pentes se redressent et que la progression en épingles à cheveux nécessite de gérer un peu son souffle.
Près de 925 mètres plus haut, dans le froid déjà vif de la fin du jour, nous voici sur l’épaule sommitale, fouettés par de vigoureuses bourrasques de vent maritime. Le show peut commencer ! Toutes les quinze minutes environ, le géant sous nos pieds hoquète, gronde, puis éructe de l’une de ses trois orbites béantes tantôt un panache de cendres et de fumées noires, tantôt un “chalumeau” de laves liquides projetées vers les nues, tantôt un feu d’artifice de boulets incandescents envoyés dans tous les sens, façon puzzle, laissant le cône jonché d’éphémères diamants fluo. A chaque fois, une odeur âcre envahit nos poumons, nos yeux piquent, tandis qu’un irrésistible sentiment “océanique” nous envahit tous. Nous réalisons pleinement l’immense privilège d’assister à cet insensé échantillon du feu tellurique. Merci à toi Eole, génie du vent, merci à toi Vulcain, maître des forges souterraines, merci surtout à toi Stromboli, maître du feu tyrrhénien.